Un crime à la gare de Gréasque.

Les faits

Le 4 mars 1925, M. Dominique Bô, chef de gare de la commune de Gréasque, travaillait vers 17h30 à son bureau, quand deux habitants de la localité se présentèrent à lui. C'étaient deux beaux-frères, sujets espagnols. Le premier, un certain Sanchez Granja Manoel, 41 ans, porteur d'un avis d'expérition, demanda à retirer une machine à coudre expédiée à son nom, de Decazeville.
M. Dominique Bô le conduisit aussitôt à la salle des bagages où la machine à coudre soigneusement emballée et étiquetée était placée dans un coin. Puis, après l'avoir montrée au destinataire, il le pria de signer sur le bordereau d'expédition et d'aquitter les frais de transport, soit 16 fr. 10.
Mais à ce moment, Sanchez refusa de prendre livraison de l'envoi : "Je tiens absolument, dit-il, à défaire l'emballage, afin de me rendre compte si la machine est en bon état."
Le chef de gare lui fit alors remarquer que la toile recouvrant la machine était intacte, qu'il n'y avait aucun signe apparent qu'elle eût souffert et, dans ces conditions il s'opposa au désir de son client. "Auparavant répondit-il, vous devez signer et acquitter les frais de transport."
L'affaire en était à ce point, quand le beau-frère de Sanchez intervint violemment dans la discussion en faveur de son parent.
Madame Bô, accourue au bruit, eut l'intuition d'un malheur que faisait présager l'attitide menaçante de cet homme. En effet, tout en se livrant à des menaces contre le chef de gare, l'irrascible espagnol, mettant la main à la poche intérieure de son veston faisait mine d'y chercher une arme. M. Dominique Bo dit alors à sa femme d'aller prévenir les gendarmes, ce qui eut le don de faire cesser momentanément la querelle.
Les deux espagnols sortirent par la porte s'ouvrat sur le quai, mais contournant l'immeuble, ils revenaient dans la cour au moment où Mme Bô s'éloignait pou aller chercher les représentants de l'autorité.
M. Bô, debout au milieu de la cour, vit venir à lui le plus jeune des deux hommes, la menace à la bouche et plus agressif que jamais. La dispute reprit. Bientôt l'Espagnol saisit à bras le corps le chef de gare, cherchant à le terrasser. Mais n'y parvenant pas il lui tira à bout portant un coup de révolver. La balle pénétra dans l'oeuil gauche. Dominique Bô, peut-être mortellement atteint s'affaissa sur le sol. Alors l'homme se recula, tournant le dos au bâtiment de la gare, et là, froidement, visant sa victime, il déchargea sur elle les quatre autres balles de son révolver. Tous les projectiles portèrent sur le côté gauche de la tête, dans la région carotidienne et dans la région cervicale.
Son coup fait, le meurtrier disparaissait.


LA GARE DE GREASQUE.
La croix indique l'endroit où M. Dominique Bô est tombé sous les balles de l'assassin.
En médaillon, photo de M. Dominique Bô.

Plusieurs personnes avaient assité à cette terrible affaire.
Sanchez, à son tour, s'enfuit de cette scène de crime et courut vers son domicile.

Quelques instants plus tard, le brigadier Flori et le gendarme Guerrini, que l'on avait prévenu des faits, se présentèrent dans la cité Salonique, chez Sanchez Grandja, qui se laissa appréhender sans difficulté. Il déclara aux gendarmes n'avoir pris aucune part au meurtre, que l'assassin était son beau frère : Romero Y Lopez José-Simon, et qu'il ignorait quelle direction avait prise ce dernier pour s'enfuir.

L'assassin


ROMERO Y LOPEZ

Romero Y Lopez, né 17 février 1901 à Castano, travaillait aux Houillères de Saint-Michel, près de Decazaville. Sa réputation était mauvaise dans ce bassin. Il se disputait fréquemment avec ses camarades de travail. Il fut même condamné à trois mois de prison, le 12 mai 1923, par le tribunal correctionnel de Villefranche-du-Rouergue, pour coups et blessures volontaires.
Laissant sur place ses parents et sa fiancée, il était arrivé, quatre mois plus tôt et s'était réfugié chez son beau-frère où il avait tout intérêt à passer inaperçu. Mais d'un caractère violent, emporté, brutal, il se signala bientôt à l'attention de la population.

Après l'interrogatoire mené par la gendarmerie, Sanchez Granja fut écroué à la disposition du parquet de Marseille sous l'inculpation de complicité de meurtre.

Chasse à l'homme

Les premières recherches effectuées, d'abord par la gendarmerie, puis la nuit par la brigade mobile ne donnèrent aucun résultat. On ignorait la direction prise par l'assassin, mais sans argent et sans papiers il ne pouvait aller bien loin. Des battues furent organisées.

Il fut enfin arrêté le 8 mars...

Arrestation

Ce matin là, M. Bonnefoy, garde de la société de chasse de Mimet, effectuant vers 10 heures une tournée dans les bois de Mimet, apperçut l'assassin au quartier des Vignes-Basses. Loin d'attirer son attention, il repéra son refuge et s'en alla donner l'alarme au maire. Immédiatement, les brigades de gendarmerie de Gardanne, Gréasque et Cadolive, se transportèrent sur les lieux et, arrivées au but, cernèrent le criminel et lui firent les somations d'usage. Celui-ci se sentant perdu et décidé à vendre chèrement sa peau, allait faire usage de son révolver, quand le gendarme Léonetti, du poste de Cadolive, plus rapide que lui, le coucha d'un coup de carabine !

Roméro Y Lopez, l'avant bras traversé et l'épaule droite fracassée par la chevrotine fut ainsi mis hors de combat et capturé.

Ayant perdu du sang en abondance, Roméro fut pansé par le docteur Bourgeois de Fuveau qui constata une plaie en séton de l'épaule droite ayant entraîné une fracture consécutive de l'humérus et une plaie au poignet.

On trouva dans sa poche une lettre adressée aux autorités et datée du 4 mars, jour du crime, dont voici la teneur : " Je m'accuse d'avoir tué le chef de gare de Gréasque et je me ferai justice moi-même au cas où je serais surpris par les gendarmes. La cause pour laquelle j'ai tué est ancienne et cette discussion m'a rendu fou. Mon beau frère n'est responsable de rien. "

Dès que son état le permit, Roméro fut interrogé et il déclara que le jour du crime, il aurait tiré toutes les balles qu'il aurait pu avoir à sa disposition et sur quiconque serait intervenu. Il refusa catégoriquement de fournir de son crime.

Il fut ensuite transporté à Marseille où il fut admis à la Conception, salle des consignés. Longtemps, on pensa qu'il serait nécessaire de l'amputer du bras, mais son état avait été jugé trop grave pour tenter cette opération. Finalement, on lui fit subir une opération de nature à écarter tout danger d'infection de la plaie.

C'est grace à cette blessure lente à cicatriser, qu'il put demeurer encore à l'hôpital et faire ainsi renvoyer sa comparution devant la cour d'assise des Bouches-du-Rhône.

Évasion

Quelques mois plus tard, dans la nuit du mardi 16 au mercredi 17 décembre 1925, une triple évasion dont le plan sembla avoir été soigneusement étudié, se produisit dans cette chambre des consignés.

Vers 11 heures, le gardien de la salle, M. Coumes, avait jeté par le judas un regard dans la salle où il ne remarqua rien d'anormal. Les détenus étaient tous couchés. Or, une heure plus tard, une surveillante qui traversait la cour, s'apercevait que des draps roulés en corde pendaient à une fenêtre de ce pavillon jusqu'à terre. Elle donna l'alarme. Le gardien, aussitôt averti, fit l'appel de ses détenus : il en manquait trois sur neuf.
Outre Romero Y Lopez, deux autres patients avaient pris la fuite : Joseph Muscelli, 35 ans et Galetto Navarro, 16 ans et demi.
Ils s'étaient enfuis par la fenêtre du fond de la salle dont un barreau avait été scié.

Il résulta des constations faites que les fugitifs, qui possédaient une scie à métaux qu'ils s'étaient procuré on ne savait comment, avaient scié, en un tour de main, par le haut et par le bas, un des barreaux de la fenêtre. L'espace ainsi créé était suffisant pour le passage d'un homme. Ensuite, avec les draps disponibles qui se trouvaient dans les lits, ils avaient confectionné, en les roulants, une corde de 15 mètres environ. Ils étaient d'abord descendus sur le toit d'un petit pavillon attenant, toit qui s'élevait à deux mètres de leur fenètre. Là, ils avaient attaché une extrémité de leur corde à une cheminée et s'étaient ensuite laissé glisser dans la cour. Une porte facile à ouvrir leur avait donné accès au chemin de ronde de l'hôpital qui les avait conduits dans la rue Saint-Pierre. Les trois détenus avaient dû être aussitôt aidés par des complices qui les avaient habillés, car ils étaient en chemise et il faisait froid. Puis ils s'étaient enfuis... On retrouva sur place la scie à métaux avec quatre lames, une ébréchée, une deuxième en mauvais état, et les deux autres neuves.
Les premières battues effectuées ne donnèrent aucun résultat.

Le 19 décembre, Joseph Muselli était arrêté par la police italienne, tandis qu'il franchissait les montagnes derrière lesquelles il pensait recouvrer la liberté. Il aurait été en compagnie d'un individu non identifié.

C'est finalement le 2 janvier 1926 que Roméro fut arrêté par la police italienne alors qu'il essayait de passer en fraude en gare de Vintimille. Le gouvernement mussolinien ne fit aucune difficulté pour l'extrader en France pour qu'il puisse y être enfin jugé.

Le procès

Ce jugement eut lieu à Aix-en-Provence le 26 octobre 1926.
Après des auditions longues et fastidieuses, Maître Jauffret, ancien bâtonnier du barreau d'Aix, se porta partie civile au nom de Madame Bô, et réclama 1 franc de dommages et intérêt.
L'avocat général Siame prit ensuite la parole dans un long réquisitoire et demanda la peine de mort pour ce violent qui méritait de se voir appliquer la loi millénaire du talion.
L'avocat de Romero, Maître Payan du bureau de Marseille, dans une plaidoirie décrite comme "très sensée et pondérée" tenta d'obtenir des jurés l'application des circonstances aténuantes que réclamait "la vie honnête et toute de travail de Roméro".
Le jury, revenant de sa chambre de délibérations, fit sienne les conclusions du défenseur, rendant un verdict affirmatif mitigé de circonstances atténuantes.
Après avoir délibéré, la Cour condamna José Roméro y Lopez aux travaux forcés à perpétuité et à un franc de dommages-intérêts envers Mme Bô.


La Victime

Dominique Bô était né le 18 juin 1873 à Vidauban (Var). Entré jeune dans la compagnie du P.L.M. il y jouissait de la plus grande estime en raison de ses qualités administratives et de son zèle à toute épreuve.
Ses capacités professionnelles et la confiance de ses chefs l'avaient désigné comme chef de Gare de Gréasque, poste qu'il occupait depuis 1014. On saisira mieux l'importance de ce poste quand on se rappellera que le trafic de la gare est très intense du fait de sa présence aux alentours de Gréasque de diverses industries, usines et carrières.
M. Dominique Bô vivait avec sa femme et sa vieille mère, âgée de 85 ans. Un fils unique, Roger, âgé de 26 ans, marié, dessinateur à la Société des Charbonnages des Bouches-du-Rhône habite également la commune


Dominique BÔ

Sources

Plusieurs journaux d'époque dont :


( Source gallica.bnf.fr / BnF )



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