Belcodène - Les à-côtés - Plats mérovingiens découverts à Valdonne.

Document de 1901.

[ Extrait du Bulletin Archéologique. Paris - Imprimerie Nationale, 1901. page 27]


PLATS D'ARGENT
CONTREMARQUÉS À L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE
TROUVÉS À VALDONNE
( BOUCHES-DU-RHÔNE )


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    En mars 1900, les ouvriers opérant des défoncements pour la vigne dans la propriété dite Doria(1), à Valdonne, commune de Peypin, trouvèrent sous une ancienne aire à blé, à quelques mètres au Nord de la ferme, un amas de décombres et des vestiges de substructions dans lesquels nous avons constaté la présence de tuiles à rebords, de fragments d'amphores et de dolia romains. A 0m.60 de profondeur, on découvrit deux plats d'argent posés l'un dans l'autre ; ils n'étaient accompagnés d'aucun objet.
    La tradition orale veut qu'il y ait eu une chapelle(2) sur ce point. Les matériaux romains qu'on vient d'y rencontrer ont-ils été utilisés à la construction d'un édifice, entre le Ve et le VIIe siècle, époque à laquelle remontent les sculptures et les inscriptions mérovingiennes de l'église voisine de Belcodène(3) ? C'est bien possible,


  (1) Ce domaine appartient à M. L. Rostan, fils d'un érudit et regretté correspondant du Ministère, notre voisin, que nous sommes heureux de remercier ici pour les renseignements qu'il nous a fournis sur le terrain de la découverte. Ces plats ont passé dans la collection de M. Ernest Guilhou, au château de Laclau (Basses-Pyrénées), mais, avant leur départ pour Paris, nous avons pu en prendre des dessins ou empreintes. La planche ci-jointe a été éxécutée par le si obligeant attaché au Cabinet des médailles de Marseille, M. Aug. Martin, à qui j'exprime toute ma reconnaissance.
  (2) Peut-être Notre-Dame-du-Saule et non du Sault ou du Saut (Ecclesia Beatæ Mariæ de Sauzillio, en 1311), qui se trouvait dans ce quartier mais dont l'emplacement exact n'a pas encore été retrouvé.
  (3) E. Le Blant, Nouveau recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule, p. 206, nos 206 à 209, et H. de Gérin-Ricard, Monographie de Belcodène (1900), p. 40.

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mais le peu de développement donné aux fouilles n'a pas permis de trancher cette question, et nous devrons nous borner à décrire les deux pièces d'orfèvrerie exhumées récemment et qui offrent un intérêt, étant donné que si les musées possèdent de riches armes, des vases sacrés et des joyaux de cette période, les spéciments de vaisselle domestique en métal y sont plus rares.
    Nos deux plats ont la même forme et les mêmes dimensions (0m.17 de diamètre) ; très légèrement creux, assez épais au milieu et minces aux bords, lesquels sont rabattus à l'extérieur en forme de bourrelet, leur pied est formé par un cercle uni de 0m.65 de diamètre et de 0m.01 de hauteur. Ils sont en argent martellé et non fondu ; malgré leur ornementation barbare comme exécution, leur galbe est assez élégant. Les fonds, légèrement bombés du côté externe, présentent des empreintes en relief de poinçons disposés en orle et dont les motifs variés font généralement face aux bords. Comme on le voit, les caractères communs à ces deux plats sont nombreux, ce qui permet de les considérer comme étant de la même époque, sinon de la même fabrique. Pour indiquer les détails qui les distinguent, nous les désignerons par des numéros.

    I. Endommagé sur un bord par la pioche et aussi par son séjour prolongé dans la terre, ce plat paraît être le plus ancien des deux ; son ornementation se compose d'une rosace formée d'un point central creux de la grosseur d'une lentille, par lequel passent deux traits en croix, entourés d'un cercle zigzaguant assez irrégulier, compris dans trois cercles (Pl. II, fig.1) ; plus loin, neuf cercles concentriques, inégalement espacés, groupés par trois et par deux dans le champ, et par quatre sur les bords. — Poids : 300 grammes.
    Au revers, sous le pied, cinq empreintes faites au moyen de trois poinçons différents (pl. II, fig. 2, 3 et 4) :
    1° Croix à branches égales terminées par des annelets, inscrite dans une bordure, le tout encadré d'un grènetis en forme de croix pattée (deux empreintes) [fig. 2].
    2° Tête d'homme imberbe à droite, chevelure formant chignon sur la nuque, diadème noué par derrière, les deux bouts flottants ; à droite et à gauche, formant cadre, bâtons noués et fleuris, l'un au pied fourchu (deux empreintes) [fig. 3].

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    Ce buste a incontestablement le même caractère que les bustes qui figurent sur les monnaies de l'époque mérovingienne ; il est du même dessin et de la même technique ; l'on y retrouve la réduction du diadème à deux lemnisques, l'œil rendu par un petit globule. Il rappelle les bustes des monnaies frappées à Marseille au nom de Clotaire II (613-629), et peut-être mieux encore les bustes des monnaies marseillaises au nom de Dagobert 1er (629-634). Il se différencie des bustes de Sigebert III (634-656), en ce que, dans ceux-ci, le globule de l'œil est abrité sous une arcade sourcillière(1). Nous n'hésiterons donc pas à rapporter cette contremarque au VIIe siècle ;
    3° Cartouche rectangulaire entouré d'un grènetis et renfermant en caractères rétrogrades, sur trois lignes, l'inscription : + A R || B A L || d 0 +, précédée et suivie d'une croix (pl. II, fig. 4). Arbaldo est pour Aribaldo. C'est un nom d'homme, connu par les monnaies mérovingiennes, où il se présente sous la forme Aribaldo, dans l'atelier de Poitiers(2) et dans l'atelier indéterminé de Carofo...(3) ; sous la forme Aribaudo(4) et Aribaudu(5), à Clermont, en Auvergne ; sous la forme Arivaldus(6), dans un atelier indéterminé ; Arivaldo, à Ruan(7), à Reims(8). Or quelques-unes des monnaies frappées par des monétaires du nom d'Aribaldus et que nous venons de citer ne peuvent être, en raison du dessin du buste gravé au droit, rapportées à une époque plus récentes que le VIIe siècle. Nous pouvons donc en conclure que la contremarque Aribaldo, au revers du plat, a été imprimée en même temps que celle du buste. Il est vrai que, dans les manuscrits du VIIe siècle, Aribaldus, si l'on en relevait des exemples, se présenterait, comme tous les noms analogues, sous la forme Charibaldus, et qu'il faut descendre aux premières années du VIIIesiècle pour rencontrer Haribaldus ou Aribaldus, c'est à dire la


  (1) Voir Maurice Prou, Catalogue des monnaies françaises de la Bibliothèque nationale. Les monnaies mérovingiennes, pl. XXIII.
  (2) Ibid., p. 455, n° 2196.
  (3) Ibid., p. 394, n° 1909.
  (4) Ibid., p. 358, n° 1728 à 1731.
  (5) Ibid., p. 357, n° 1726.
  (6) A. de Belfort, Description générale des monnaies mérovingiennes., t. IV, p. 324, n° 6145.
  (7) Catalogue des monnaies françaises de la Bibliothèque nationale. Les monnaies mérovingiennes, p. 135, nos 579 et 580. n° 6145.
  (8) A. de Belfort, ouvrage cité, t. III, p. 124, n° 3784.

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chute de la gutturale initiale aspirée(1). Mais les inscriptions des monnaies, qui représentent une prononciation populaire, permettent de constater certains phénomènes phonétiques antérieurement à l'époque où les textes, qui conservent une orthographe traditionnelle, témoignent de ces mêmes phénomènes(2).

    II. En bon état. L'intérieur orné d'une rosace composée d'une croix dont chaque branche est terminée par deux annelets. Ce motif, incrusté au marteau, paraît être composé d'un métal comprenant un alliage d'étain et de cuivre, puisque, au moment de la découverte, il présentait du vert-de-gris, qui a disparu à un simple essuyage, pour faire place à une teinte gris-bleu d'un joli effet et qui tranche sur le champ comme de l'émail. La croix est entourée de deux cercles concentriques au trait (pl. II, fig.6), et neuf autres cercles, inégalement espacés, groupés, dans le champ, deux par deux et par cinq sur les bords. — Poids : 400 grames.
    Au revers, sous le pied, cinq empreintes faites au moyen de quatre poinçons différents :
    1° Croix ansée au pied fourchu et cramponné ; encadrement en forme de croix pattée (deux empreintes) [pl. II, fig.5];
    2° Cartouche discal bordé d'un grénetis renfermant un monogramme cruciforme (fig.8);
    3° Monogramme cruciforme (fig.8);
    4° Monogramme cruciforme (fig.9);

    Si les contremarques du plat n° I sont franchement mérovingiennes, cellesdu plat n° II paraissent plutôt byzantines. Le monogramme (fig.8) rappelle à première vue, à cause du K, celui de Charlemagne ; mais il ne faut pas oublier que les Francs ont emprunté l'usage des monogrammes cruciformes aux Byzantins ; et ce monogramme présente une lettre grecque, le Δ ; de plus, au sommet du monogramme, la façon dont l'O est superposé au T est une disposition fréquente dans les monogrammes byzantins. Les autres monogrammes cruciformes sont analogues à celui-ci. Nous y voyons donc des contremarques grecques.


  (1) Förtemann, Altdeutsches Namenbuch, Personennamen, 2e édit., col. 765..
  (2) Voir, en ce qui concerne la substitution de la graphie Ari à Chari, les observations de M. Longnon, dans l'édition qu'il a donnée du Polyptyque de l'abbaye de Saint-Germain des Près, t. I, p. 329.

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    M. Victor Waille a décrit, dans le Bulletin archéologique(1), une patère d'argent antique, découverte à Cherchel, et qui présente, sur le fond extérieur, des contremarques consistant en monogrammes et noms grecs écrits en toutes lettres. On rapprochera encore les contremarques des plats de Valdonne de celles qui sont imprimées au fond d'une patère antique d'argent, trouvée aux environs de Perm et publiée par Stéphani(2) : ce sont des noms et monogrammes grecs, un buste impérial, un buste de saint nimbé et des croix. Le buste impérial est donc quelque chose d'analogue au buste impérial du plat n° I, et l'un des monogrammes présente comme celui du plat n° II (pl. II, fig.8) un K à l'extrémité de la branche dextre de la croix.
    Il est impossible de déterminer la signification de ces contremarques. Pour le plat n° I, comme nous y remarquons une effigie pareille à celle des monnaies, l'on pourrait supposer que c'est là un poinçon de contrôle. Mais comme nous savons que les orfèvres, à l'époque mérovingienne, étaient souvent tout à la fois orfèvres et monnayeurs, il ne serait pas absurde de supposer qu'un orfèvre-monnayeur du nom d'Aribaldo a marqué le plat au moment où il le possédait, d'une effigie analogue à celle qu'il gravait sur les coins monétaires ; ces contremarques seraient, dans cette hypothèse, à la fois une marque de garantie, sinon de contrôle officiel, et une marque de possession. Cet usage, pour les particuliers, d'inscrire leur nom sur leur argenterie a été constaté : témoin, par exemple, le plateau d'argent antique, connu sous le nom de "bouclier d'Annibal", conservé au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, et au revers duquel son possesseur, du VIIe ou du VIIIe siècle, a écrit en caractères cursif le mention : Agnerico som, entre deux croix.


  (1) Victor Waille, Note sur une patère d'argent découverte en Algérie, dans le Bulletin archéologique, 1893, p. 83 et suiv.
  (2) Compte rendu de la commission impériale archéologique pour l'année 1867 (Saint-Pétersbourg, 1868), p. 49 et 210-211, pl. II.

[ planche II ]



Au musée du Louvre

Ces deux plats furent mis en vente en mai 1910. C'est le musée du Louvre qui s'en porta acquéreur au prix de 540 francs.


Ils sont aujourd'hui exposés dans ce Musée, Salle Henri II, au premier étage.

              
Photos provenant du site du Musée du Louvre
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