Belcodène. Les Cipes (bornes romaines).

A l'époque romaine, furent érigées sur le territoire de Belcodène deux bornes de pierre que l'on désigne sous le nom de "Cipes".
Par rapport aux "bornes milliaires" qui étaient sensées indiquer une distance par rapport à une ville, les "cipes" étaient des bornes qui servaient de délimitation ("fines") entre deux territoires, raison pour loaquelle on leur donne souvent le nom de "Fines".


Les Cipes de la région :

Une bonne description des "fines" qui se trouvent dans la région aixoise, est donnée par le chanoine Albanès :

Lorsque la ville d'Aix devint une colonie romaine, c'est à dire sous le règne d'Auguste, et se trouva ainsi en contact avec la colonie d'Arles, qui devait sa fondation à Jules César, il y eut nécessité de délimiter le territoire des deux cités limitrophes. Cette démarcation se fit au moyen de grands blocs de pierre quadrangulaires, si solidement plantés en terre, qu'on les retrouve encore parfois à l'endroit même ou les ingénieurs impériaux les placèrent, il y a dix-neuf siècles. Impossible de les confondre avec d'autres pierres, ou de se méprendre sur le but pour lequel elle furent posées ; car chacune porte sur l'une de ses faces l'inscription : FINES ARELATenstum "limites du territoire d'Arles", et sur l'autre FINES AQVENsium, "limites du territoire d'Aix". Les lettres sont superbes et des premières années de l'ère chrétienne. Naturellement, ces bornes qui désignaient la ligne qui séparait les deux citées, durent être établies sur le périmètre commun ; et bien que le plus grand nombre ait disparu, il nous en reste assez pour savoir exactement quelles étaient à cette date les frontières de la colonie aixoise. On en a signalé successivement jusqu'à douze, dont trois auraient été à Aix même, deux à Gémenos, deux à Belcodène, une à Peynier, une à Saint-Antonin, et une à la Grande Pugère. Albanès : Gallia christiana novissima.

Dans un article, publié dans la "Revue des études anciennes" (Janvier-MArs 1928) sous le titre "Un nouveau Fines de la cité d'Aix", H. de Gérin-Ricard donne le plan suivant des dits fines :

Les Cipes de Belcodène :

Les deux "cipes" de Belcodène furent tout d'abord étudiés par les frères Bosq, antiquaires à Auriol en 1833 et 1837, puis décrits en 1838 dans un document manuscrit, déposé dans les archives de l' Académie des Arts, Siences et Lettres de Marseille.
Malheureusement, non contents d'observer ces monuments, les frères Bosq crurent bon, le 20 août 1838, de les prélever et de les installer dans le jardin de leur maison d'Auriol !
Ecoutons quelques extraits du récit de cette journée :

Après avoir fait maintes courses dans l'étendue du terroir de cette commune, afin de pouvoir mieux considérer les monuments que nous avons eu l'avantage d'observer en 1833, et en 1837, deux de ces monuments sont funéraires, et deux sont des termes qui nous ont démontré par leurs inscriptions des peuples de l'antiquité et leurs limites.
Des deux monuments de limites un était encombré par des batisses et l'autre par un terrain qui nous a empêché dans nos premiers essais de nous bien assurer à quels peuples ces termes ont tracé leurs limites.
Le 20 août 1838 encouragés des circulaires de son excellence le ministre de l'intérieur, qui tend à la recherche et à conserver les anciens monuments de la France ; protégés d'une lettre de monsieur le Conseiller d'état, préfet des Bouches du Rhône, qui nous autorise à faire dans les communes du département des recherches archéologiques.
Le même jour du 20 août après avoir parcouru sur divers points la contrée de Belcodène pour être entièrement informés s'ils n'existaient d'autres ruines et d'autres monuments séparés de ceux que nous avons observés.
Après être parfaitement convaincus de l'authenticité des faits, nous avons enlevé, d'après les ordres de monsieur le marquis de Cabre maire de cette commune, premièrement le terme qui se trouve sur le penchant occidental de la colline dite le castellas c'est à dire grand château, où sont sur le sommé de cette colline des ruines anciennes d'une maison fortifiée au milieu d'un camp retranché de forme circulaire.
Cette pierre de limite d'après la nature de sa formation calcaire, a été extraite des montagnes de Belcodène, sa qualité et son poids ; que nous avons évaluons d'après sa hauteur de 154 centimètres sur 47 de largeur et de 31 d'épaisseur à 12 quintaux. La pesanteur de ce monument de limite, et la qualité de cette pierre nous fait croire qu'elle a été préparée sur le lieu même de Belcodène, où nous l'avons vue dans nos courses renversée sur un terrain creux et nous avons reconnu par ce creux être le même lieu où le terme gardé conjointement une limite avec celui qui était à droite de la porte du cimetière de cette commune et forment ensemble une seule ligne, à l'espace d'un terme à l'autre d'environ 350 mètres, à partir su septentrion oû est le cimetière, et fini au sud où sont les ruines du castelas.
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Ensuite nous avons encore enlevé l'autre monument de limite celui attenant aux murailles du dit cimetière, pierre aussi évaluée au poids d'environ 13 quintaux, comme l'autre d'après sa hauteur de 160 centimètres, su 49 de largeur et 32 d'épaisseur qui étaient comme nous l'avons annoncé dans notre dernière notice, enfouie dans les murailles du cimetière en qualité de pierre brute, et par sa formation est aussi extrete des montagnes de Belcodène, ce qui nous affirme qu'elle a été préparée sur le lieu même qu'elle posait.

Ces deux "cipes" furent donc ajoutés dans la collection personnelle des frères Bosq. C'est la que l'abbé Bargès alla les voir et les observer, quelques années plus tard, pour en faire la description et des croquis dans sa "Notice sur les antiquités de Belcodène" :

Les deux pierres étaient de forme oblongue et carrée, mesurant 1m10 de haut sur 47 centimètres de large sur leurs faces écrites, sans tenir compte de la base qui était enfoncée dans le sol à une profondeur d'environ 5 à 6 centimètres. La pierre qui est d'un calcaire blanc et dur, est grossièrement taillée ; l'on n'y voit aucune trace de sculpture ou de moulure. Les caractères des inscriptions ont une hauteur de 8 à 10 centimètres, mais sous le rapport de l'élégance et du trait, ils ne présentent à la vue rien de remarquable. Dans l'inscription qui se lit sur le revers de la première pierre, la lettre F de la première ligne était à peine visible, ayant été mutilée et presque effacée soit par un éclat de la pierre, soit par tout autre accident. Sur la seconde pierre que l'on a trouvée encastrée dans le mur du cimetière à deux ou trois pas de l'ancienne église paroissiale de Belcodène, la première ligne portait :
FINE
avec les deux lettres N,E jointes ensemble,
et la seconde :
AREL
Comme on le voit, les finales de ces deux mots se trouvaient entièrement effacées. Sur la face opposée, le mot FINES qui devait figurer à la première ligne, avait également disparu, et sur la seconde il n'était resté que les deux lettres EN sur les bords de la pierre, à droite, lettres qui faisaient incontestablement partie du nom AQVENS, qui se lit sur la première pierre. D'après les notes manuscrites et les observations que feu M. Jacques Bosq nous a laissées sur cette dernière inscription, il paraîtrait qu'à l'époque de la découverte, on pouvait encore lire ce nom intégralement, car il l'a transcrit, sans hésiter, en toutes lettres AQVENS.

Quelques années plus tard, ces deux pierres furent vendues par les ferères Bosq à un collectionneur marseillais, Monsieur Trabaud, qui désirait en enrichir son musée (6 rue Nicolas à Marseille). Malheureusement, celui-ci, trouvant les pierres très lourdes et peu faciles à transporter, les fit scier en deux !
On ne sait pas combien de temps elles restèrent dans ce musée, mais elles sont signalées, dès 1894, au musée Borély de Marseille, ou elles sont encore aujourd'hui stockées dans un hangar, où j'ai pu les voir et prendre les clichés ci-desous :


FINES AQVENS

FINES ARELAT


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