Attaque à la gare de La Barque-Fuveau.

Le contexte

En 1923, la ligne de chemin de fer entre Aubagne et la gare de La Barque-Fuveau est encore en service.
Chaque jour, plusieurs trains déservent les localités de Pont-de-l'Etoile, Roquevaire, Auriol, La Bouilladisse, Valdonne, Cadolive, Saint-Savournin, Puits-Léonie, Gréasque, Puits-Lhuillier, et Fuveau. Outre les voyageurs, il y a dans ces trains un convoyeur des P.T.T chargé de ramasser le courrier provenant de chacune de ces localités.


Les faits

Le jeudi 15 février 1923, Jules Blanchet, le convoyeur, était parti d'Aubagne à 14h25 à bord du train 2989. Il arriva à La Barque-Fuveau à 17h19. Disposant de quelques minutes avant que le train ne reparte vers Aubagne, Jules Blanchet descendit sur le quai, posa son sac sur le sol et se mit à causer avec un employé du P.L.M. Auprès d'eux, quatre ou cinq personnes attendaient également le départ prochain du train.
Tout à coup, un homme dont l'allure n'avait pas été jusque là suspecte, bondit sur le sac de courrier, s'en empara et, traversant la voie férée, se dirigea vers les bâtiments de la Petite Vitesse.
Le convoyeur s'apperçut aussitôt du vol. D'un bond il fut sur le malfaiteur, s'agrippa à lui, le forçant à ralentir sa marche. Les deux hommes se trouvaient à ce moment sur un terrain découvert. Ils lutaient tous deux avec énergie, lorsqu'un deuxième individu d'allure malingre, petit, mais terriblement décidé entra en scene. Il était armé de deux révolvers. Presque à bout portant, alors, faisant feu plusieurs fois avec ses deux armes, il tira sur le convoyeur, l'ateignant grièvement dans le dos. Jules Blanchet ne lachaît pas cependant son voleur. Il voulait avoir son sac et luttait encore quoique blessé.
Cette scène sauvage durait depuis plusieurs secondes, lorsqu'un troisième bandit fit son apparition. Il était posté à côté de la "Petite Vitesse", non loin d'une automobile stationnée, moteur arrêté, au volant de laquelle un chaufeur se tenait impassible. Cet homme, comprenant que les affaires se gâtaient, craignant aussi que les quelques témoins de cette scène n'intervinssent, se mit aussi à tirer des coups de révolver. Enfin, Jules Blanchet, blessé mortellement par d'autres coups, abandonna la lutte. Le sac lui échappa. Perdant son sang, ses mains dessérèrent l'étreinte, il chancela et s'écroula sur le sol, tandis que les trois bandits, fusillant toujours les dix personnes qui les regardaient terrorisées, couraient vers la voiture qui les attendait et disparaissaient sur la route, vers Marseille, sur laquelle la nuit propice commençait à tomber.
Jules Blanchet avait été atteint par cinq balles qui l'avaient touché au ventre et dans les reins. Il fut transporté provisoirement dans une salle de la gare, où il fut pansé, puis une automobile le transporta à l'hôpital d'Aix. Là, M. le chirurgien Latil vint lui apporter le secours de sa science, mais le convoyeur succomba à ses blessures vers 2 heures du matin.
Aussitôt qu'il fût connu, cet attentat causa une vive émotion. Toutes les mesures furent prises aussitôt. On télégraphia aux gendarmes et à la police de Marseille (le téléphone n'existait pas encore à cette gare).


La Victime

Jules Blanchet avait 55 ans, c'était un ancien adjudant retraité de l'infanterie coloniale ayant participé à la plupart des guerres coloniales, Tonkin, Madagascar, Chine, etc. Veuf sans enfants, il vivait à Aubagne, au 5 de la rue de Guin, d'une petite rente. Comme ses ressources étaient précaires il avait pris du service dans l'administration des postes où il exerçait en tant qu'intérimaire, remplaçant, en cas de maladie ou de congés, les postiers attitrés. Il assurait ce jour là le service de M. Barthélémy Promé qui aura bénéficié, en cette circonstance, d'une chance exceptionnelle.

Le 18 juillet il fut transporté au cimetière d'Aubagne où il fut intégré à une cérémonie prévue pour rendre les derniers devoirs à trois héros de la grande guerre. Des discours furent prononcés par M. Boulanger, directeur régionnal des P.T.T. et par M. Athenoux, délégué des postiers.
Sur la proposition de M. Louis Thibon, préfet des Bouches-du-Rhône, M. le Ministre de l'Intérieur a accordé une médaille d'or, à titre posthume au convoyeur, victime de son dévouement.


L'enquête

Après l'attaque, plusieurs témoins purent décrire la voiture utilisée par les bandits, un taxi-auto de couleur sombre, avec une bande jaune et une capote grise. L'auto, qui roulait à très vive allure, fut aperçue dans plusieurs localités, ce qui permit aux enquêteurs de suivre la route parcourue par ces derniers jusqu'à Marseille.
Un garconnet avait distingué sous les bras de l'un des bandits un journal plié cachant ses deux révolvers. Ce journal fut retrouvé ! C'était un numéro portant la date du mercredi des cendres et il y était indiqué qu'à l'occasion de cette fête les versements en espèce effectués dans une banque marseillaise qui possède une succursalle à Fuveau, n'auraient lieu que le lendemain, c'est à dire le 15 février jour du crime.

Louis Lieutaud

Le hasard révélait à la Sûreté un renseignement des plus importants qui fut aussitôt utilisé :
Le Jeudi soir, vers six heures et demie, une heure après le crime, un taxi-auto Citroën de forme Torpédo, dont la decription correspondait au signalement donné, s'était arrêté sur le quai du port de Marseille. Le chauffeur, avait sauté à terre, et procédé au nettoyage, dans la mer, du paillasson du fond de sa voiture qui était taché de sang.
Des jeunes désœuvrés intrigués par le manège, étaient allés lui demander ce qu'il faisait :

Des inspecteurs de la brigade Dedieu, mis au courant de ce lavage suspect, furent chargés de retrouver le conducteur de l'auto.
Ce dernier, un nommé Louis Lieutaud, 26 ans, au service d'un entrepreneur de taxis, était rejoint le 16 au soir et conduit devant M. Robert, chef de la sûreté, qui le soumettait immédiatement à un interrogatoire très serré.

Bien entendu, Louis Lieutaud nia avoir participé à l'attaque et prétendit, pour expliquer la présence de sang dans sa voiture, qu'il avait conduit un voyageur qui avait saigné du nez. L'explication était plausible, mais il déclara ensuite qu'il était arrivé au café du port à 5 heures et demie du soir alors que l'enquête avait démontré qu'il y était venu en réalité à 6 heures et demie. Cette contradiction décida M. Robert à le garder à sa disposition jusqu'à plus ample information.

De nombreux détails accablaient Louis Lieutaud. Tout d'abord la vérification des alibis donnés par le chaufeur se révélèrent contestables...
Il avait déclaré s'être rendu à 17 heures 10 chez un médecin, puis être allé chez le pharmacien vers 17 heures 40. Or le médecin se rappela bien aver reçu la visite du jeune homme mais à 19 heures, et le pharmacien affirma qu'il était bien venu chercher des médicaments mais à 19 heures 45 ! De plus, l'analyse du taximètre de son auto et du nombre de prises en charges constituaient de nouvelles et graves présomptions contre lui quant au nombre de courses effectuées dans la journée et le nombre de kilomètres parcourus.
Enfin, l'écartement des roues et les dessins des pneumatiques étaient identiques à ceux laissés là où stationnait l'auto pendant l'attaque.

Une perquisition eût lieu dans son domicile, qui ne permit pas de trouver des armes, mais un tas de bibelots et d'objets provenant vraissemblablement de ce que l'on appelait à cette époque le "Trafic des Carnets Médicaux". Des pensionnés, avec la complicité de pharmaciens peu scrupuleux, recevaient en échange des médicaments portés sur les ordonnances et dont ils n'avaient que faire, divers produits de parfumerie ou autres marchandises à leur choix. Cette opération judiciaire a eu cette conséquence d'ajouter l'inculpation qui pesait sur lui, l'inculpation de recel.

Louis Félix

Le 20 février, un certain Louis Félix, 25 ans, est arrêté. Il avait été reconnu sur des photos présentées aux témoins de l'attaque. De plus, une casquette saisie chez lui correspondait point par point à la caquette que plusieurs témoins affirment avoir vue portée par l'un des bandits.
Louis Félix fournit des alibis dont un fit douter le chef de la sûreté. En effet, il avait indiqué qu'il se trouvait l'après-midi du jeudi chez une coiffeuse de Marseille. Renseignements pris il s'y trouvait en effet. La coiffeuse ne se rappelait pas exactement le jour mais elle se souvenait que, au moment de la visite de Félix, il y avait eu une panne d'électricité. Or, cette panne paraissait s'être produite jeudi avant 6 heures du soir, ce qui fournissait un alibi de premier ordre au jeune homme.

Finalement, il fut admis qu'il avait été confondu avec Bernotto et qu'il n'avait pris aucune part à cette affaire. Une ordonnance de non-lieu fut donc rendue en sa faveur et il fut remis en liberté.

Mais pour peu de temps seulement, car une semmaine après, il fut arrêté pour avoir transporté de marseille à Paris des faux billets de 20 francs, produits par une bande de faussaires dont il faisait partie !.

Le blessé : Ange Bertotto.

Selon les témoignages des témoins de l'attaque, il avait été tiré une trentaine de coups de feu. Les agresseurs tiraient à tort et à travers. Il était possible que l'un d'eux ait été blessé par les projectiles tirés par ses camarades, car pendant qu'ils fuyaient vers l'auto, l'un des assassins tomba sur le ballast et lorsqu'il se releva les témoins purent distinguer des traces de sang sur son visage.
Il restait à identifier ce blessé.
Des enquêteurs s'étaient rendus à Pourrières (Var) d'où Louis Lieutaud était originaire, où ils se livrèrent à une enquête conçernant le passé de l'inculpé.
C'est ainsi qu'ils furent mis sur la trace d'un certain Ange Bertotto également né à Pourrières. Louis Lieutaud et lui étaient amis intimes depuis leur plus jeune âge et, venus depuis longtemps à Marseille avaient continué à entretenir leur amitié. C'est ainsi que Bertotto sans ressources par suite d'un long chômage avait été hégergé à la place d'Aix par son ami.

La police pensa que cet homme pouvait être le bandit blessé pendant l'attaque. Un soir, elle fit une descente dans un bar de la rue Châteauredon. Ils y arrêtèrent un nommé Antoiner Valentino qu'ils savaient être en relation avec un individu blessé depuis quelques temps et qui étaient lui même déserteur.
Le 3 mars, le chef de la sûreté et ses collaborateurs pénétraient dans un immeuble au n° 56 de la rue d'Aubagne, où ils découvrirent, au quatrième étage, une chambre et Bertotto allongé sur un lit avec une blessure à la jambe.

Les aveux

Bertotto reconnut qu'il avait été entrainé par Lieutaud qui avait promis de l'intéresser à une affaire importante. Il ne savait pas alors de quopi il s'agissait. Toujours est-il que le 15 février, jour du crime, il était parti du cours du Chapitre, à Marseille, sur le taxi de Lieutaud qui avait également chargé deux jeunes gents inconnus de lui. Par la Bourdonnière le taxi s'était dirigé vers La Barque-Fuveau. Sur la route de Gréasque, près d'un pont, un pneu ayant crevé, les quatre automobilistes durent arrêter leur course pour réparer. Celà demanda un certain temps, si bien que le train était déjà en gare lorsqu'ils arrivèrent à La Barque. Suivant les instructions qui lui avaient été données en cours de route, Bertotto devait s'emparer du sac de dépêches confié à la surveillance de Jules Blanchet. En attendant l'instant propice, il arpenta le quai de la gare, pendant que ses complices se dissimulaient, prêts à intervenir, le long de la barrière, à proximité de l'auto arrêtée sur le chemin.

Quand le moment d'agir fut venu, Bertotto se précipita sur le convoyeur et lui arrachant le sac qu'il gardait s'enfuit vers l'auto. Il n'était séparé que de quelques mètres de la voiture lorsqu'il entendit plusieurs détonnations d'arme à feu et ressentit immédiatement une vive douleur à la jambe gauche. C'est avec des efforts surhumains qu'après avoir abandonné le sac, il réussit à grimper dans l'auto où il s'affaissa et perdit à moitié connaissance.

Bertotto se souvint que ses complices démarrèrent rapidement et s'engagèrent à toute vitesse sur la route.
A Pichauris, l'auto fit halte. Les deux jeunes gens chargés par Lieutaud aui cours du Chapitre et que Bertotto ne connaissait pas, les quitèrent en emportant le sac volé au convoyeur et qu'ils avaient ramassé lorsque Bertotto l'avait abandonné. (Ce sac, portant encore des traces de sang, avait été retrouvé le 27 février dans un petit bois à Pichauris). Puis Lieutaud remis en marche son taxi dans la direction de Marseille et stoppa à la Bourdonnière. Là, pendant que Bertotto montait dans un tramway, Lieutaud continuait sa route vers la ville.
Tous deux se retrouvèrent dans la soirée au rendez-vous fixé et Lieutaud reprenant son ami blessé le conduisit chez lui.
Bertotto changea plusieurs fois de lieu avant son arrestation. Toutes les personnes l'ayant aidé dans ces déménagements successifs furent mises en examen sous l'inculpation de recel de malfaiteur.

Francois Datario

La police fut vite sur la piste du troisième bandit qui avait participé aux déplacements du blessé. Un cerain Tobi François Datario, dit "François l'Algérien", un ancien gérant de bar, qui avait été arrêté pour infraction à la loi sur le pari mutuel.

Félix Bouchard

De ces aveux, il resortit que le quatrième bandit était un certain Félix Bouchard, qui avait pris la fuite tout de suite après le crime, sans doute avec sa part du butin récupérée dans le sac.


Le procès

L'audience commença le 24 janvier, à Aix. Le lendemain,M. de Montvallon, avocat général, réclame de la fermeté du jury, trois condamnations capitales. Le troisième jour, le 26 janvier, le verdict est rendu : les trois inculpés sont reconnus coupables, mais avec admission de circonstances atténuantes. Après délibération de la cour, le jugement est rendu : Bertotto et Lieutaud sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité, Datario à 10 ans de réclusion et à 10 ans d'interdiction de séjour.

Ainsi se termine le drame sanglant de la Barque-Fuveau.


Epilogue

Qui étaient ces quatre bandits et que devinrent-ils ?

LIEUTAUD Louis Léonce Marius :
Né le 10 septembre 1897 à Pourrières (Var). Fils de cultivateur.
Il est incorporé à compter du 9 janvier 1916. En août 1917 il est blessé par un éclat d'obus au chemin des dames. Il est évacué en juin 1918 à cause d'une plaie suppurée suite à sa première blessure.
Après sa condamnation en 1924, il est envoyé aux travaux forcés puis il est affecté en 1928 à la 15ème section des exclus coloniaux.

BERTOTTO Charles Ange Paul :
Né le 16 juillet 1900 à Pourrières (Var). Fils de cultivateur.
Il est incorporé au 15ème escadron du train le 16 mars 1920 et déclaré "soutien de famille" en août 1920. Il passe à la réserve le 15 mars 1922
Après sa condamnation en 1924, il est transporté à Saint-Laurent du Maroni (Guyane) où il décède le 19 janvier 1926.

DATARIO Tobi François :
Né le 6 décembre 1896 à Alger. il exerce à ses débuts le métier de marin.
Il est incorporé au dépot de Toulon en juillet 1915 comme inscrit maritime.
En décembre 1917, il est condamné à 3 mois de prisons pour port d'arme prohibé.
Déclaré déserteur en septembre 1918 il est acquité en juin 1919. Il est réformé par la commission de réforme de Toumon le 28 mars 1919.
Après sa condamnation en 1924, on le retrouve à Avignon en septembre 1939 et à Paris en 1948.

BOUCHARD Louis Félix :
Né le 23 juin 1894 à Marseille fils posthume d'un boucher, il exerce à ses débuts le métier de patissier.
En 1914 il est exempté par la commission de réforme de Marseille, mais, n'ayant pas fait la déclaration prescrite à la mairie de sa résidence, il est considéré comme apte au service armé. Il rejoint le Maroc où il est à nouveau réformé à Casablanca. Il rentre à Marseille en août 1915.
En novembre 1916, il est pris au moment où il va cambrioler un magasin de vins.
Après l'attaque de Fuveau, il avait rapidement quitté la France et s'était réfugié en Argentine. Condamné à mort par contumace en 1924, il revint en France en 1950, alors âgé de 55 ans. Il est rapidement compromis dans une affaire de tentative de cambriolage, démasqué et arrêté le 17 janvier 1951.
Devant les assises des Bouches du Rhône, il soutint que le crime qui avait motivé sa condamnation était prescrit puisque vieux de plus de 20 ans.
Mais dans son calcul il avait oublié de défalquer les années de guerre qui sont suspensives de la prescription : son immunité n'aurait commencé à courir que le 13 mai 1951.
Malgré cette erreur, la cour a admis son point de vue et ordonné la mise en liberté du contumax.

Sources

Plusieurs journaux d'époque dont :


( Source gallica.bnf.fr / BnF )



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